Réinventer l’avenir financier de l’Afrique : la BAD mobilise les marchés de capitaux pour combler le déficit d’investissement
À Abidjan, le Groupe de la Banque africaine de développement initie une stratégie ambitieuse pour transformer les marchés boursiers africains en moteurs durables de financement, d’investissement et de croissance économique.

Le financement du développement en Afrique est à un tournant. Les besoins sont considérables : infrastructures, énergies renouvelables, transformation industrielle, PME innovantes, technologies numériques et services sociaux. Pourtant, le continent reste confronté à un déficit chronique de financement à long terme, avec des institutions publiques souvent saturées et des flux d’aide extérieure insuffisants. C’est dans ce contexte que le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD) a entamé, les 18 et 19 novembre 2025 à Abidjan, une série de réunions inédites avec les principaux acteurs des marchés boursiers et institutions de financement africains. L’objectif : bâtir une nouvelle architecture financière continentale, capable de mobiliser l’épargne locale, attirer les investisseurs institutionnels et stimuler le capital-investissement pour les entreprises à forte croissance.
En tant qu’architectes des marchés de capitaux africains, vous êtes les gardiens des institutions financières et les catalyseurs de l’avenir de notre continent
Selon Sidi Ould Tah, président de la BAD, « en tant qu’architectes des marchés de capitaux africains, vous êtes les gardiens des institutions financières et les catalyseurs de l’avenir de notre continent. » Son message souligne la vision ambitieuse de l’institution : faire des marchés de capitaux non plus un outil marginal, mais un pilier central du financement africain.

Les réunions ont réuni plus d’une cinquantaine de représentants de banques régionales et continentales, de fonds de capital-investissement et de capital-risque, ainsi que de bourses de valeur de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique centrale, de Casablanca, de Tunis, du Rwanda, du Mozambique, du Cabo Verde, de Nairobi et du Ghana. Ces acteurs, souvent dispersés et confrontés à des réglementations fragmentées, se trouvent désormais réunis pour discuter de réformes structurelles visant à renforcer la liquidité des marchés, élargir l’accès aux capitaux et développer des instruments financiers adaptés aux besoins africains.
Pour Félix Edoh Kossi Amenounve, directeur général de la BRVM, « des écarts existent entre les besoins de financement et les ressources disponibles, mais nous devons réfléchir aux réformes nécessaires pour parvenir à la capitalisation des fonds de pension africains. Ces fonds, conçus à l’origine pour financer les gouvernements, doivent désormais financer le développement économique. »
Cette réflexion intervient alors que les PME représentent près de 90 % des entreprises et plus de 60 % de l’emploi en Afrique, mais continuent d’avoir un accès limité au capital-risque. Les discussions ont donc porté sur la promotion du capital-investissement et du capital-risque, la création de fonds régionaux mieux structurés et l’adoption d’instruments financiers innovants pour soutenir les petites et moyennes entreprises ainsi que les champions industriels émergents.
En mobilisant des capitaux patients, vous fournissez à nos États et à nos entreprises des sources de financement diversifiées
Le rôle des marchés boursiers dépasse cependant le financement direct des entreprises. La BAD insiste sur trois axes stratégiques pour leur développement : le renforcement institutionnel et réglementaire, la diversification des acteurs et des instruments financiers, et la formation et le dialogue politique pour renforcer les capacités des gestionnaires de marché et des régulateurs. Selon M. Ould Tah, « les marchés de capitaux constituent le socle sur lequel repose une croissance économique durable et à long terme. En mobilisant des capitaux patients, vous fournissez à nos États et à nos entreprises des sources de financement diversifiées, tout en offrant aux investisseurs institutionnels un éventail plus large d’opportunités. »
La numérisation et l’innovation fintech ont également été identifiées comme des leviers cruciaux pour accroître l’accès aux marchés et améliorer l’inclusion financière. L’éducation financière, en particulier chez les jeunes générations, fait partie intégrante de cette stratégie, permettant de créer un vivier de citoyens et d’entrepreneurs capables d’interagir efficacement avec les instruments financiers modernes.
Une coordination régionale est essentielle pour parvenir à une mise à l’échelle et à une harmonisation des politiques
Les obstacles réglementaires et la coordination régionale restent cependant des défis majeurs. Selon Donald Waweru Wangunyu, directeur non exécutif de la Bourse de Nairobi, « nous avons de bons projets, mais les obstacles demeurent. Une coordination régionale est essentielle pour parvenir à une mise à l’échelle et à une harmonisation des politiques. » De son côté, Sonia Ben Frej, présidente du Conseil d’administration de la Bourse de Tunis, souligne la nécessité de mettre à jour des réglementations obsolètes pour rendre les marchés plus attractifs pour les investisseurs étrangers et locaux.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre des Quatre points cardinaux définis par le président de la BAD : accès accru à des financements prévisibles, développement des marchés de capitaux, promotion d’une finance durable et renforcement des capacités institutionnelles. Ces principes visent à réduire la dépendance de l’Afrique à l’aide publique au développement et à bâtir une architecture financière autonome et résiliente.
Objectif : créer un environnement où les marchés de capitaux africains deviennent un levier stratégique pour le développement, la création d’emplois et l’industrialisation du continent
En mobilisant l’épargne locale, en attirant des investisseurs institutionnels et en structurant des instruments financiers adaptés aux besoins du continent, la BAD cherche à transformer les marchés boursiers africains en véritables moteurs de croissance. Les deux jours de consultations à Abidjan ne sont que le début d’un processus ambitieux : créer un environnement où les marchés de capitaux africains deviennent un levier stratégique pour le développement, la création d’emplois et l’industrialisation du continent.
Alors que les réunions se poursuivent, il apparaît que l’avenir financier de l’Afrique pourrait reposer sur une combinaison de réformes institutionnelles, de capital-investissement dynamique, de technologies numériques et de coordination régionale. La BAD entend non seulement catalyser ces transformations, mais aussi les construire collectivement avec les acteurs locaux et régionaux, ouvrant la voie à une nouvelle ère où les marchés de capitaux africains jouent enfin pleinement leur rôle dans la croissance et le développement durable.



