Smart Africa : quand l’Afrique prend son destin numérique en main
Créée en 2013 sous l’impulsion de 8 États fondateurs, l’initiative Smart Africa est devenue l’un des leviers les plus ambitieux de la transformation numérique du continent. Aujourd’hui, elle rassemble plus de 40 États membres, des institutions financières et des partenaires techniques, avec l’ambition de bâtir un marché numérique unique en Afrique d’ici 2030. L’accès au haut débit, le développement de l’intelligence artificielle, l’e‑gouvernance et l’innovation constituent ses piliers stratégiques.

Depuis sa création, Smart Africa a multiplié les initiatives structurantes : le lancement du One Africa Network (OAN) pour relier les États membres via un réseau à haut débit, la mise en place du Smart Africa Digital Academy pour former des milliers de jeunes Africains aux compétences numériques, et la création du Blueprint africain sur l’IA pour guider le développement d’une intelligence artificielle adaptée aux réalités locales.
Selon Lacina Koné, Directeur général de Smart Africa, « l’intelligence artificielle ne doit pas être une vague qui nous submerge, mais un dévié que nous maîtrisons ». Cette vision traduit la volonté de l’alliance de ne plus subir passivement les révolutions technologiques, mais de poser les jalons d’une souveraineté numérique africaine, capable de définir ses propres standards et de former ses expert·es.
Création du Conseil africain de l’intelligence artificielle
Lors de son 20ᵉ comité de pilotage, Smart Africa a officiellement approuvé la création du Conseil africain de l’intelligence artificielle, chargé de coordonner l’infrastructure IA, la formation des talents, les datasets, la gouvernance et les cas d’usage sur le continent. Parallèlement, un plan directeur continental pour la cybersécurité a été mis en place, structuré autour de trois axes — talents, processus, technologie — avec le soutien d’un centre d’innovation à Abidjan et la création de l’ANCA (African Network of Cybersecurity Authorities), un réseau panafricain visant à renforcer la cybersécurité et l’échange de bonnes pratiques.
Dans le domaine de la santé numérique, Smart Africa vise l’interopérabilité des systèmes de santé d’ici 2027, pour permettre à tout citoyen africain d’accéder à ses données médicales de manière sécurisée, même au-delà des frontières.
Une priorité commune : l’Afrique doit passer de la consommation de technologies à leur production
Lors de la 12ᵉ réunion du conseil d’administration de Smart Africa, qui se tenait le 12 novembre en marge de Transform Africa Summit, les dirigeants ont réaffirmé l’engagement unifié du continent à développer la transformation numérique et à accélérer la préparation à l’intelligence artificielle. Les interventions ont mis en lumière une priorité commune : l’Afrique doit passer de la consommation de technologies à leur production. Le renforcement de la connectivité, l’investissement dans les compétences et la création de centres d’IA sur tout le continent ont été identifiés comme des étapes essentielles pour permettre aux jeunes de participer pleinement à l’économie numérique.
La réunion a également souligné l’impact de Smart Africa sur la formation des talents, des pays comme la Sierra Leone formant déjà des centaines de jeunes et de professionnels grâce au Smart Africa Digital Academy. Les réflexions du Conseil d’administration ont montré l’évolution de Smart Africa vers un écosystème axé sur les résultats, soutenu par un nombre croissant de membres et la confiance de ses partenaires. De nouvelles étapes importantes en matière de gouvernance ont été annoncées, notamment la présélection des ministres des TIC et des membres indépendants du Conseil d’administration afin de renforcer la supervision et l’orientation stratégique.
Un message clair s’est dégagé : l’Afrique a la capacité de façonner son avenir numérique, et Smart Africa demeure le moteur continental qui guide cette ambition.
L’accessibilité, le défi majeur
Malgré ces avancées, plusieurs obstacles structuraux subsistent. L’accessibilité à Internet reste limitée : selon le rapport Foresight Africa 2025–2030, seulement 37 % des Africains utilisaient Internet en 2023, avec des coûts encore très élevés en zones rurales. L’électricité instable est un autre frein : plus de 600 millions de personnes n’ont pas un accès fiable à l’énergie, rendant l’exploitation de data centers coûteuse et risquée.
L’Afrique ne dispose encore que de moins de 1 % de la capacité mondiale des data centers, ce qui ralentit le déploiement des applications IA. Le manque de talents spécialisés est criant : de nombreux jeunes formés dans les universités africaines migrent vers des hubs technologiques plus avancés. Sur le plan de la gouvernance, la dépendance aux investissements étrangers et la fragmentation réglementaire compliquent la création d’un marché numérique unifié. La crise de gouvernance concernant AFRINIC en juillet 2025 illustre ces risques : selon Smart Africa, une défaillance du registre régional des adresses IP pourrait fragiliser la souveraineté numérique du continent.
Enfin, le financement reste un défi majeur : construire les infrastructures, former les talents et déployer les solutions numériques nécessite des investissements très élevés, que les modèles actuels (subventions, partenariats public‑privé) peinent à couvrir.
Une vision politique et stratégique
Smart Africa ne se limite pas à un projet technique : elle incarne un manifeste politique pour l’autonomie numérique africaine. Selon ses promoteurs, l’Afrique doit créer ses propres standards numériques pour ne pas dépendre des technologies importées . L’initiative pose ainsi les bases d’une Afrique capable de gérer ses données, protéger ses infrastructures et former les expert·es dont elle a besoin.
Si Smart Africa parvient à mobiliser efficacement les États membres, les institutions financières et le secteur privé, elle pourra favoriser l’émergence d’un numérique souverain et inclusif. Sinon, le risque demeure que les progrès restent concentrés dans quelques pays mieux équipés, creusant le fossé numérique entre ceux qui maîtrisent les technologies et ceux qui en demeurent dépendants.
Des succès et défis qui reflètent les ambitions et les contraintes de l’Afrique numérique
Avec plus de 40 États membres, plusieurs hubs régionaux et projets phares déjà en cours, Smart Africa est désormais un acteur central de l’intégration numérique continentale. Ses succès et défis reflètent les ambitions et les contraintes de l’Afrique numérique : souveraineté, inclusion, innovation et résilience face aux contraintes énergétiques et financières.
« Nous ne sommes pas dans une course. Nous ne rattrapons pas le retard. L’Afrique redéfinit la ligne d’arrivée selon ses propres termes » juge Lacina Koné.
Avec Smart Africa, l’Afrique pose les bases d’un avenir numérique souverain et inclusif — non pas en suivant, mais en redéfinissant les règles du jeu technologique à son rythme, selon ses propres valeurs et besoins.



