Le monde vu d’Afrique : quand le reshoring menace la croissance mondiale
L’OCDE sonne l’alarme : la volonté de rapatrier massivement les chaînes d’approvisionnement pourrait entraîner une baisse du commerce mondial de jusqu’à 18 % et faire reculer le PIB de certains pays de l’ordre de 10 % ou plus. Cette mise en garde éclaire une des ruptures majeures du paysage économique de 2025 : quand le retour vers le local risque de coûter cher.

L’OCDE a dévoilé récemment les résultats de son Supply Chain Resilience Review, montrant qu’une stratégie agressive de relocalisation – via l’augmentation des tarifs à l’import, le soutien massif à la production locale ou la restriction de l’accès aux intrants – pourrait réduire le commerce mondial de plus de 18 % et faire chuter le PIB réel mondial de plus de 5 %. Dans certains scénarios, ce sont même des reculs allant jusqu’à 12 % pour des économies nationales très exposées qui sont envisagés.
Marion Jansen, directrice de la direction commerce et agriculture de l’OCDE, a déclaré : « Par le passé, nous avons peut-être sous-estimé le risque de dépendance excessive à un seul partenaire commercial, mais basculer trop loin vers la localisation et éviter le commerce international serait une autre erreur, nous laissant exposés aux chocs domestiques et à de grandes inefficiences. »
Un contexte de rupture
Depuis le déclenchement de la pandémie de Covid‑19, la guerre en Ukraine et les tensions commerciales sino‑américaines, les entreprises et États remettent en cause la fiabilité des chaînes globales. Cependant, selon l’OCDE, simplement rapatrier les chaînes de valeur n’améliore pas la résilience : plus de la moitié des pays analysés verraient en fait une volatilité accrue de leur PIB. L’étude révèle également que la concentration des importations s’est accrue de près de 50 % entre la fin des années 1990 et le début des années 2020, avec la Chine comme partenaire unique dominant dans 30 % des cas d’importation très concentrée.
Pourquoi cette alerte ?
Le modèle économique global repose aujourd’hui pour une large part sur des chaînes de valeur fragmentées et ouvertes qui traversent plusieurs pays, permettant production efficiente, innovation et emploi. En choisissant de rapatrier ou de cloisonner ces chaînes, les économies s’exposent à des coûts plus élevés, une moindre spécialisation et une plus grande vulnérabilité aux chocs internes. L’OCDE estime que les efforts de relocalisation pourraient entraîner une baisse de la croissance de 3 % à 13 % du PIB dans des pays avancés.
“La géopolitique devient un facteur structurel de risque économique”
Les dirigeants d’entreprise et investisseurs doivent en tirer trois enseignements majeurs. Premièrement, la « résilience » ne se construit pas en replaçant toutes les activités à l’intérieur des frontières, mais en diversifiant les sources, en améliorant l’agilité logistique et en travaillant la flexibilité des chaînes. Deuxièmement, la géopolitique devient un facteur structurel de risque économique : la dépendance à un seul fournisseur ou partenaire peut être un verrou même dans un schéma de rapatriement. Troisièmement, les économies de taille moyenne ou celles émergentes disposent d’un avantage : elles peuvent négocier leur place dans les chaînes globales en restant ouvertes, mais mieux connectées et plus spécialisées, plutôt que d’essayer de tout produire en interne.
Nous devons renforcer la flexibilité des chaînes d’approvisionnement globales
Le message de l’OCDE invite à un repositionnement plutôt qu’à une rupture : « Nous devons plutôt puiser dans de nouvelles sources d’approvisionnement inexploitées à l’échelle mondiale et renforcer la flexibilité des chaînes d’approvisionnement globales, en particulier pour les produits dont l’importation est fortement concentrée. » Pour les pays africains ou situés à la marge des grands pôles manufacturiers, l’opportunité est double : d’un côté s’intégrer dans ces chaînes de valeur diversifiées, de l’autre rester vigilants aux effets de cascade d’un ralentissement global.
Privilégier une approche agile de la mondialisation
La crise des chaînes d’approvisionnement n’est pas un problème de matériel logistique uniquement : elle est le reflet d’une nouvelle ère où le commerce et l’investissement doivent s’appuyer sur la diversité, la flexibilité et l’ouverture, plutôt que sur le réflexe de repli. Les entreprises et gouvernements doivent adapter leur stratégie à cette réalité : abandonner l’idée que « rapatrier » = « sécuriser », et privilégier une approche agile de la mondialisation. L’OCDE rappelle que sans approche mesurée, rénovation équivaut à régression.



