Rapport : l’Afrique à la croisée des réseaux
Le rapport The State of Broadband in Africa 2025, publié par la Broadband Commission (UIT/UNESCO), dresse un état des lieux contrasté : des infrastructures en nette progression mais des fractures persistantes en matière d’usage, de prix et d’inclusion, qui freinent l’essor du numérique sur le continent.

L’année 2025 confirme que l’Afrique avance rapidement dans la construction de ses infrastructures numériques, mais que la promesse d’un accès universel et significatif reste encore lointaine. Le rapport souligne que la couverture mobile haut débit a atteint environ 86 % de la population en 2024. Pourtant, près de 14 % des Africains vivent toujours sans aucune couverture mobile, principalement en zones rurales. Le contraste le plus frappant reste cependant l’écart entre couverture et usage : « Environ 710 millions de personnes en Afrique vivent dans des zones couvertes par le haut débit mobile, mais n’utilisent pas Internet », peut-on lire dans le rapport.

Un paradoxe : les réseaux existent, mais ils ne sont pas utilisés à hauteur de leur potentiel
Cette « usage gap » est l’un des défis les plus critiques. Elle traduit un paradoxe : les réseaux existent, mais ils ne sont pas utilisés à hauteur de leur potentiel. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : coût des services et des terminaux, compétences numériques insuffisantes, barrières sociales et culturelles. Comme le rappelle le rapport, « l’accès n’est pas synonyme d’usage : l’inclusion numérique passe par la combinaison d’une infrastructure disponible, de prix abordables et de compétences numériques de base ».
Sur le plan technologique, les progrès sont indéniables. Les connexions 4G se sont largement étendues et plusieurs pays testent déjà la 5G. Toutefois, celle-ci reste marginale. « La 5G représente seulement 1,2 % des connexions mobiles sur le continent », indique le document, ce qui limite pour l’instant l’émergence d’usages avancés dans l’industrie, la santé ou l’éducation. L’arrivée de satellites basés sur l’orbite basse et l’implantation de nouveaux centres de données renforcent néanmoins l’écosystème numérique africain.
“La question du coût reste centrale”
La question du coût reste centrale. Selon le rapport, le prix médian d’un forfait de 2 GB par mois représentait encore 4,2 % du revenu national brut par habitant en 2024, soit plus du double de l’objectif fixé par la Broadband Commission, qui recommande un seuil maximum de 2 %. Pour l’Internet fixe, la situation est encore plus préoccupante : le coût médian équivaut à 15 % du revenu mensuel par habitant. Ces chiffres traduisent la difficulté pour de nombreux foyers à s’abonner, même là où le réseau existe. « L’abordabilité reste le principal obstacle à une adoption massive d’Internet en Afrique », insiste le rapport.
Réduire la fracture numérique de genre est une priorité si l’on veut que le numérique devienne réellement inclusif
L’étude met également en avant des fractures profondes entre les zones urbaines et rurales, mais aussi entre les genres. Dans plusieurs pays, l’écart d’utilisation entre hommes et femmes atteint plus de dix points de pourcentage. « Réduire la fracture numérique de genre est une priorité si l’on veut que le numérique devienne réellement inclusif », avertit le rapport.
La connectivité doit être protégée comme un bien public essentiel, et non utilisée comme un levier politique ponctuel
La question de la gouvernance et de la résilience des réseaux occupe aussi une place importante. Le rapport souligne que les coupures volontaires d’Internet, utilisées dans plusieurs pays africains ces dernières années, compromettent la confiance des utilisateurs et découragent les investisseurs. « La connectivité doit être protégée comme un bien public essentiel, et non utilisée comme un levier politique ponctuel », martèle le texte.
Pour atteindre une couverture universelle et une utilisation significative d’ici 2030, l’Afrique devra mobiliser des financements innovants et renforcer la coopération entre secteurs public et privé
Sur le plan des investissements, le rapport constate une mobilisation croissante du secteur privé, qu’il s’agisse des opérateurs africains, des grands acteurs mondiaux du numérique ou de fonds souverains. Mais l’écart à combler reste important. « Pour atteindre une couverture universelle et une utilisation significative d’ici 2030, l’Afrique devra mobiliser des financements innovants et renforcer la coopération entre secteurs public et privé », précise le rapport.
Le défi n’est plus de connecter, mais de permettre à chacun d’utiliser cette connexion de manière utile et abordable
The State of Broadband in Africa 2025 trace une ligne claire : sans politiques publiques ambitieuses et coordonnées, l’Afrique risque de se contenter d’infrastructures spectaculaires mais sous-utilisées. Comme le résume la Broadband Commission : « Les réseaux africains sont en construction, mais leur véritable valeur se mesurera à leur capacité à transformer les économies et les sociétés. Le défi n’est plus de connecter, mais de permettre à chacun d’utiliser cette connexion de manière utile et abordable. »