Attirer les investissements en Afrique : saisir ce moment de la ZLECAf
Dans une contribution au Rapport du Forum Ibrahim 2025, Pamela Coke-Hamilton, Directrice exécutive du Centre du commerce international (ITC), appelle l’Afrique à saisir l’opportunité historique qu’offre la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Elle met en avant son potentiel pour stimuler l’investissement, renforcer l’autonomie financière et transformer le commerce intra-africain. Par Pamela Coke-Hamilton*

L’année 2025 a surpris même les commentateurs et prévisionnistes les plus aguerris, en particulier ceux qui travaillent dans le domaine du commerce. Les escalades tarifaires, suspensions et volte-face ont dominé l’actualité récente, sans signe de ralentissement. Depuis le début de l’année, plus de 150 mesures restrictives en matière de commerce ont été adoptées par des gouvernements, selon l’analyse de l’ITC, et d’autres semblent à craindre. Les inquiétudes sur la stabilité du système commercial international se propagent, avec des perturbations qui se traduisent par des coûts très concrets pour ceux qui ont le moins les moyens de les supporter.
Dans le même temps, le domaine du développement international a été bouleversé, même si certains des changements les plus récents reflètent souvent une intensification de tendances plus anciennes. De nombreux budgets d’aide ont été réduits, tandis que beaucoup de bailleurs réorientent leurs priorités pour répondre à une large gamme de demandes tout en respectant leurs engagements envers leurs contribuables. Déjà, les coupes dans l’Aide publique au développement (APD) annoncées par les gouvernements en 2025 pourraient représenter une baisse de 9 à 17 % par rapport aux niveaux de l’an dernier, selon les dernières projections de l’OCDE. Si la direction des futures décisions en matière d’APD reste incertaine, une chose est claire pour ceux qui travaillent dans le commerce : compter sur le paradigme « aide pour le commerce » des dernières années ne fonctionnera pas. Et l’immobilisme n’est pas une option. Il n’a d’ailleurs pas à l’être.
C’est là qu’intervient un accord comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). En plus d’être le moteur économique de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, la ZLECAf recèle le potentiel d’être l’un des traités commerciaux les plus transformateurs de l’histoire. Et après des années de travaux préparatoires et d’initiatives pilotes visant à tester ses dispositions dans la pratique, la ZLECAf s’accélère désormais vers sa mise en œuvre complète.
Les gains économiques potentiels de la ZLECAf sont immenses : si les droits de douane sur le continent sont intégralement supprimés, le commerce intra-africain pourrait croître de 22 milliards de dollars d’ici 2029. Outre la suppression des tarifs, le traité comprend des protocoles dédiés à des enjeux cruciaux allant des femmes et des jeunes à la propriété intellectuelle et à l’économie numérique. Il comporte un protocole spécifique sur l’investissement destiné à accroître les flux d’investissement intra-africains — essentiel pour une plus grande autonomie financière — et établit des mesures pour rendre l’environnement d’investissement plus prévisible. L’accord peut également permettre aux gouvernements de développer une base de ressources domestiques bien plus large, facilitant la mobilisation des ressources intérieures et améliorant la prévisibilité des recettes et la gestion des ressources.
Un marché africain entièrement intégré de 1,4 milliard de personnes, qui s’appuie sur des années de progrès en matière d’intégration au sein et entre les communautés économiques régionales africaines, peut aussi constituer un puissant levier pour attirer davantage d’investissements directs étrangers venus de l’extérieur du continent. Cela inclut les investissements qui contribuent aux infrastructures essentielles liées au commerce, ainsi que ceux indispensables pour accroître les capacités de transformation, en particulier dans les chaînes de valeur les plus prometteuses en termes de création d’emplois à valeur ajoutée pour les petites et moyennes entreprises.
En collaboration avec la Commission de l’Union africaine et l’Union européenne, le rapport de l’ITC Made by Africa: Creating Value Through Integration a analysé plus de 400 chaînes de valeur, les classant selon leur faisabilité et leur pertinence vis-à-vis des objectifs de développement du continent, et en a identifié 94 comme particulièrement adaptées.
Depuis, l’ITC a approfondi l’analyse de trois de ces chaînes de valeur — aliments complémentaires formulés, produits pharmaceutiques et automobiles — avec des résultats venant nourrir des projets pilotes dans le cadre de la Global Gateway de l’UE. En parallèle, l’ITC et l’ONUDI, avec le soutien de l’Union européenne et en étroite collaboration avec les partenaires africains aux niveaux continental et des CER, mettent en place l’Initiative pour la compétitivité commerciale et l’accès au marché de l’Afrique, afin de soutenir les capacités et activités de création de valeur, tout en s’attaquant à des enjeux allant des barrières d’accès au marché au transfert de technologies. Tous ces efforts sont inspirés et guidés par ce que la ZLECAf peut offrir, et menés avant tout par des acteurs, des besoins et des priorités locaux.
Mais la valeur de la ZLECAf dépasse largement son potentiel de transformation économique et d’accroissement du commerce intra-africain. Elle offre également un forum où les économies africaines peuvent échanger des expériences et concevoir de nouvelles idées de coopération Sud-Sud et mondiale, contribuant ainsi à rétablir la confiance dans l’arène multilatérale. Elle crée une plateforme puissante pour permettre aux gouvernements africains de plaider à l’échelle mondiale en faveur des plus petits et des plus vulnérables, trop souvent absents des discussions commerciales. Et elle constitue une occasion inestimable de montrer au monde ce à quoi peut ressembler un commerce connecté, durable et inclusif, en pratique.
En d’autres termes, le succès de la ZLECAf peut être le coup de fouet dont notre système multilatéral a besoin, en aidant à contrer un paysage mondial marqué par l’incertitude et où le pessimisme risque de s’installer durablement. Mais savoir si cela se concrétise dépend de nous tous.
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*Pamela Coke-Hamilton est directrice exécutive du Centre du commerce international.
Cet article a été publié comme contribution au Rapport du Forum Ibrahim 2025, Financer l’Afrique que nous voulons.